mardi 7 mai 2024

Classes difficiles, que faire?

L’équipe RVP est intervenue afin d’accompagner une équipe pédagogique d’une classe de CAP assistant technique en milieu familial et collectif (ATMFC) de l’académie de Strasbourg. Regroupant des élèves aux personnalités différentes dont le dénominateur commun semble être le refus des règles et la violence verbale comme mode d’expression, le groupe fait corps dans son opposition à l’équipe éducative. Les visites de PFMP révèlent que les comportements en entreprise ne sont pas adaptés : les ruptures de convention sont d’ailleurs nombreuses. Face à cette situation, l’équipe a réagi en menant notamment des entretiens individuels avec les élèves et les familles, en transcrivant des situations dans des rapports. Finalement, une demande de formation d’initiative locale (Fil) a été adressée au groupe RVP par le chef d’établissement.* Avant de proposer des pistes de solutions, l’équipe RVP procède à une analyse de besoins, compilant et consultant tous les écrits concernant cette classe (rapports, bulletins…). Comprendre les logiques du groupe classe, identifier des stratégies payantes La première étape de la formation avec l’équipe RVP est donc l’occasion pour l’équipe éducative de se retrouver pour profiler les élèves : où sont les leaders ? Quels traits de personnalité dominent ? Quels sont ceux dont les comportements traduisent des troubles qui devraient amener à une aide ou un accompagnement spécialisé ? Le projet professionnel est-il cohérent avec la formation ? Le croisement des regards portés sur les élèves de la classe amène certes à mettre des mots sur une situation douloureuse, à cerner les personnalités et les logiques de groupe, mais permet aussi de dépasser la simple compilation des plaintes. Dans un deuxième temps, les collègues sont amenés à revenir sur le passé pour retrouver une expérience positive, un moment d’adhésion d’une majorité des élèves à la proposition d’un travail, d’une tâche. Même si ces temps ont été fugaces, souvent trop fragiles, leur analyse permet d’identifier des clés essentielles. Quand des professeurs s’autorisent à sortir de l’image figée d’un transmetteur d’informations, ils peuvent renouer un contact, débloquer la situation et initier un travail scolaire. Par exemple, lorsque la professeure d’arts appliqués demande aux élèves une représentation de leurs chaussures, la classe entière se lance, un pied en chaussette, à la difficile tâche de représenter en deux dimensions l’esthétique tridimensionnelle de cet objet. Celui de leurs désirs, reflet de leurs états d’âmes et de leurs personnalités. Ou encore lorsque l’enseignante de PSE veut définir par avance les binômes et leur place dans la salle. Elle choisit de créer et d’imprimer des chevalets portant en « Word Art » les prénoms de chaque élève. Cette simple feuille de papier pliée en deux, reçue comme un cadeau personnalisé, permet de déjouer une partie des préjugés des élèves à l’égard des professeurs mais aussi de faire passer une règle nouvelle (constitution de binôme, place fixée par la professeure dans la salle) avec douceur. Des « ficelles du métier » qui engagent de fait nombre d’enjeux de la relation enseignant/élève. Les participants à cette Fil ont pris conscience des ressorts à actionner pour faire tomber l’étiquette « classe difficile » et revenir à une ambiance plus sereine : répartir la classe en petits groupes de travail auxquels sont assignées des tâches bien précises, définir des rôles au sein du groupe, cultiver le goût esthétique des jeunes filles et mener de petits projets et des actions pour les valoriser. Paradoxalement, dans cette classe, offrir la possibilité de se déplacer pour échanger de l’information avec un autre groupe devient un vecteur de pacification. La situation n’est donc pas totalement bloquée : certaines initiatives semblent agir sur la dynamique du groupe, il est donc nécessaire de les identifier, puis de les généraliser afin d’en tirer profit. Attention toutefois à ne pas vouloir aller trop vite : les expériences de certains ne sont pas toujours transposables d’un cours à un autre. Plutôt que de « copier-coller » des stratégies individuelles, il s’agit plutôt d’en comprendre les principes. En outre, ce n’est pas parce que l’un ou l’autre  applique une idée qui fonctionne que la classe sera considérée comme « stabilisée ». Nombreux sont les enseignants qui accordent la plus grande importance à la réalisation de l’intégralité du programme, à la transmission de toutes les connaissances, capacités et attitudes décrites dans les référentiels ou programmes. Cette volonté est tout à leur honneur et relève d’une conscience professionnelle … mais à mission impossible nul n’est tenu. Proposer la rupture pour établir de nouvelles bases Les nombreux travaux menés avec des classes difficiles ont montré qu’il n’y a pas de fatalité, dès lors que la réponse apportée est collective, concertée et appliquée par toute l’équipe éducative. Mais comment modifier la réalité des choses alors que la classe fonctionne, ou plutôt, ne fonctionne pas, depuis quatre mois ? Comme tout système physique, les ensembles sociaux se stabilisent sur des positions d’équilibre ; rompre cet équilibre peut permettre d’atteindre un nouvel état. Ceux qui ont vécu des projets pédagogiques avec leurs élèves savent que les relations et les représentations s’en trouvent modifiées.  La proposition de l’équipe RVP est de créer une semaine de rupture. Une semaine qui ne serait pas comme les autres, où les positions de chacun, enseignants et élèves, seraient réécrites. Elle serait programmée stratégiquement au retour des stages. Certes, il n’est pas simple de composer avec les emplois du temps, de faire preuve d’inventivité pour imaginer des propositions originales mais l’enjeu est motivant : casser les représentations et les habitudes de chacun pour redéfinir un autre mode de fonctionnement élève-élève, élève-enseignant et peut-être même enseignant-enseignant. Tout cela prend du temps, demande des efforts d’adaptation et un véritable engagement alors que l’on a plutôt envie de se désinvestir d’une telle classe. Cependant il faut mettre dans la balance le coût psychologique que représente l’affrontement à une classe que l’on va suivre durant deux années ; ces efforts de quelques jours permettront peut-être de pacifier et de rendre la suite moins stressante. Travailler sur l’élaboration du rapport de stage, responsabiliser les élèves en les impliquant dans l’élaboration d’un repas, mettre en œuvre une action liée au petit-déjeuner, définir avec les élèves leurs droits et devoirs… autant d’évènements qui doivent permettre aux élèves et aux enseignants d’interagir hors du champ « enseignant-élèves » et de poser les bases d’une nouvelle relation. Et à long terme ? Il serait ingénu de penser qu’une seule semaine suffirait à faire évoluer naturellement le groupe vers une dynamique positive. Pour que s’installent durablement les bases de nouvelles relations, il faut programmer tout au long de l’année des actions ponctuelles mais récurrentes qui impliquent différemment les élèves : des actions ou des projets visant à valoriser les élèves, développer des qualités sociales, leur faire découvrir d’autres univers, d’autres expériences... Il faut également être conscient que cette nouvelle dynamique ne peut être soutenue sans mobiliser des temps d’échange de l’équipe éducative. L’équipe de direction est partie prenante dans l’opération. L’aménagement des emplois du temps ou la demande d’une formation d’initiative locale va soutenir la réflexion préalable, la mise en place d’actions et les temps de bilan. Pour les enseignants, les efforts déployés sont gratifiants : ce travail pour modifier le fonctionnement d’une classe difficile apporte toujours des éléments que l’on va réinvestir dans sa pratique quotidienne avec toutes les classes… qu’elles soient difficiles ou non.  Comment demander une Fil ?