Enrichir collectivement un roman policier historique grâce aux outils numériques

 

Sébastien LUTZ

 

Niveau : classe de seconde en Littérature et société

 

Problématique : Comment le numérique facile-t-il la lecture et l’interprétation d’un texte long ?

 

Objectifs littéraires et culturels :

  •  montrer comment l’intrigue policière se construit au fur à fur mesure d’un roman policier
  • étudier le contexte historique d’une œuvre littéraire et ses liens avec la fiction
  • appréhender le travail de l’écrivain et sa fidélité aux sources historiques
  • permettre aux élèves de prendre du recul par rapport à eux-mêmes en leur faisant découvrir les mentalités et les habitudes alimentaires d’un siècle qui leur est étranger

Objectifs méthodologiques :

  • favoriser le travail de groupe afin de construire un parcours de lecture commun
  • utiliser les outils numériques pour produire un texte enrichi qui permettra de mieux appréhender les thèmes, les motifs et les personnages d’un roman
  • réaliser une synthèse sur un thème, un motif ou un personnage du roman

 

Ressources numériques et outils informatiques mobilisés :

  • Moodle (page wiki)
  • Doodle
  • Wikipédia et Vikidia (pour les élèves en difficulté)

 

Compétences visées :

  • travailler en groupe
  • mener des recherches et les restituer à l’oral
  • développer sa créativité

 

Plan de la séquence

Séance 1 : devoir de lecture suivi d'une analyse des couvertures (première et quatrième)

Séance 2 : découverte du genre du roman policier à travers l’analyse de la première et de la quatrième de couverture de différents romans policiers

Séance 3 : rédiger la première et la quatrième de couverture d’un roman policier à partir d’une image : La Femme au masque, vers 1650, Lorenzo Lippi, Musée d'Angers (58,5 x 72,5 cm)

Séances 4 et 5 : création du livre enrichi

Séances 7 et 8 : réalisation d’une synthèse et d’un panneau sur un thème donné en vue d’une exposition pour la journée portes ouvertes du lycée

Séance 9 : exposés oraux sur le thème retenu

Séance 10 : rencontre avec l’écrivain Michèle Barrière venue répondre aux questions des élèves.

 

Introduction

Les instructions officielles invitent l’enseignant à élargir et à diversifier l’offre de lecture proposée aux élèves. Ces recommandations s’accompagnent souvent d’une liste d’ouvrages.

En raison de l’hétérogénéité des classes et d’une culture contemporaine faisant une large place à l’image, force est de constater que certains élèves ont du mal à lire une œuvre littéraire. Cette difficulté est encore accentuée lorsqu’on demande aux élèves de relire une œuvre de façon transversale. Ils ne voient pas l’intérêt d’une telle relecture qui leur paraît un pensum, car ils estiment connaître déjà l’histoire. Enfin, ils n’ont pas l’habitude d’annoter le livre qu’ils lisent et de chercher dans un dictionnaire le vocabulaire qui leur pose difficulté.

Comment concilier dès lors leur appétence pour l’outil informatique avec la lecture d’une œuvre littéraire ? Comment initier un travail collaboratif qui leur facilitera l’approche thématique d’un roman ? Comment le détour par le numérique permet-il de réinterroger le texte ?

Le travail que nous avons mené, en collaboration avec Marie-Noëlle Hadey, le professeur d’histoire de la classe, propose une démarche initiée avec une classe de seconde très hétérogène autour du roman Innocent Breuvage de Michèle Barrière (Jean-Claude Lattès, 2015). Il s’agit d’un roman policier historique qui relate l’enquête menée par Quentin du Mesnil sur la mort du Dauphin François. L’auteur, spécialiste de l’histoire de la gastronomie, fait, également l’histoire de l’alimentation au XVIe siècle au fil du roman.

 

Enrichir un roman

Les élèves ont été mis par groupes de deux ou de trois. Chaque groupe avait en charge deux chapitres du roman de Michèle Barrière. Il leur a été demandé de créer une version enrichie de ces deux chapitres sous une forme ressemblant à une page Wikipédia. L’objectif était de proposer une vision à la fois synthétique et détaillée du chapitre afin de permettre au lecteur d’avoir une relecture rapide et, si nécessaire, plus précise. À cet effet, nous leur avons demandé de:


  • donner un titre au chapitre,
  • le résumer,
  • lui trouver une illustration,
  • créer des liens hypertextes sur les mots de vocabulaire difficiles,
  • créer des liens hypertextes sur les réalités sociales et historiques (personnages, lieux, évènements historiques, etc.) mentionnées dans le chapitre.
 

 Livre enrichi, début du chapitre II

(Titre donné par les élèves « la vie et les derniers instants du Dauphin »)

 

Exemple de notice historique réalisée par les élèves sur Henri de Nassau

 

Cette première étape leur a permis une appropriation plus précise du roman. Ils ont enrichi leur lexique et réussi à mieux situer par leurs recherches le contexte du livre : les guerres d’Italie, la rivalité entre François Ier et Charles-Quint, la ville de Lyon au XVIe siècle, François Rabelais, les Vaudois, etc. Ils ont pu également voir l’intérêt de leur chapitre dans la construction de l’intrigue policière car ils devaient, dans le résumé, expliquer en quoi leur chapitre participait à la construction de l’enquête.

Leur vision du roman restait cependant fragmentaire. Comment réussir dès lors à s’approprier l’ensemble du roman ?

 

Partager son travail

 

Les élèves, après avoir tiré au sort le thème sur lequel ils devaient travailler, ont dû répondre à un Doodle pour indiquer si le chapitre qu’ils avaient enrichi traitait des thèmes tirés au sort par les autres groupes. De leur côté, ils ont pu prendre connaissance des chapitres contenant des éléments utiles au traitement de leur propre thème. Ce dispositif les a rassurés car la relecture du roman ne leur semblait plus un obstacle infranchissable : ils savaient où chercher.

 

 

Doodle où apparaissent en ordonnée les chapitres et en abscisse les thèmes à traiter dans le roman. Les croix indiquent si le chapitre est concerné ou non par le thème à traiter. 

Le Doodle a contribué à un travail collaboratif. En effet, lorsque les élèves ne comprenaient pas pourquoi tel autre groupe avait coché tel chapitre, ils n’ont pas hésité à se déplacer pour aller rencontrer le groupe en question et lui demander en quoi leur chapitre pouvait leur être utile.

 

S’approprier le travail des autres groupes

 

Le premier travail demandé aux élèves était de relever dans un fichier toutes les citations concernant le thème qu’ils devaient traiter.

Cette relecture a été facilitée par le travail opéré en amont par les autres groupes. Les élèves disposaient en effet d’un résumé du chapitre et d’un titre. Ils pouvaient donc se remémorer facilement l’intrigue du livre sans avoir le sentiment d’être perdus.

Par ailleurs, les touches « rechercher dans la page » (Ctrl+F) et « copier-coller » (Ctrl+C et Ctrl+ V) ont permis un gain de temps précieux dans la collecte des citations et la constitution du fichier en rapport avec le thème à traiter.

Le traitement des citations collectées a aussi été facilité par les liens hypertextes créés. Une nouvelle approche de lecture, non plus linéaire, mais fonctionnant en rhizome s’est mise en place. Ainsi, ceux qui devaient traiter de la médecine au XVIe siècle ont-ils été rendus attentifs aux nombreux noms de plantes médicinales et aux maladies qui avaient été déjà mentionnées et expliquées sous la forme de liens hypertextes. De même, ceux qui ont travaillé sur François Rabelais ont pu bénéficier des recherches déjà effectuées sur Pantagruel et la guerre contre les Andouilles.

Les élèves ont finalement synthétisé leurs travaux sur un panneau destiné à soutenir leur exposé oral pour présenter le fruit de leurs recherches à leurs camarades. Le dernier exposé, qui portait sur l’auteur, a d’ailleurs été présenté devant Michèle Barrière en personne. Cette dernière a réagi avec humour au portrait d’elle dressé par une élève soulignant que les renseignements donnés sur Internet n’étaient pas tous exacts. Les panneaux ont été exposés lors de la journée portes ouvertes du lycée.

 

 

Exemples de panneaux réalisés par les élèves

 

Bilan

 

Nous avons voulu montrer comment le numérique permet aux élèves de mieux s’approprier un texte littéraire long qui leur était de prime abord assez difficile d’accès en raison de références historiques qui ne leur étaient pas familières et du lexique qu’ils maitrisaient mal. Cet exemple d’utilisation du numérique nous semble d’autant plus pertinent que nous avions déjà travaillé sur un autre roman de Michèle Barrière sans passer par le numérique et constaté que les élèves peinaient à trouver dans le roman les passages en lien avec leur thème. Ainsi, lors de la rencontre avec l’écrivain, les élèves ont posé davantage de questions en rapport avec le thème qu’ils avaient traité que lors de la fois précédente où ils s’étaient contentés de questions générales sur le métier d’écrivain.

 

En ce sens, le numérique, sans résoudre tous les problèmes évoqués dans notre introduction, peut être utilisé au service des compétences de lecture et d’écriture. Le lecteur engagé dans le texte, le réseau et la création, peut produire du sens pour lui-même et le partager avec d’autres.

 

Sébastien LUTZ, lycée Robert Schuman à Haguenau

Nous tenons à remercier Michèle Barrière qui a généreusement accepté de nous donner le fichier Word de son roman, nous permettant ainsi de le télécharger sur Moodle.

à télécharger