Construire une lecture critique avec Britannicus : interprétation, portfolio et usage raisonné de l’IA
Nicolas Bannier
Sommaire de l'article
Introduction
Comment faire entendre la voix tremblante de Junie à l’ère de l’intelligence artificielle ? Comment accompagner les élèves dans la lecture d’un texte exigeant comme Britannicus, tout en les rendant acteurs de leur interprétation, critiques face aux outils numériques, et capables de formuler une pensée personnelle et sensible ?
C’est à ces questions que cette séquence a voulu répondre, en croisant trois exigences : une lecture littéraire rigoureuse de la tragédie racinienne, une pédagogie active centrée sur l’appropriation progressive des savoirs, et une réflexion à la fois pratique et critique sur les usages de l’intelligence artificielle en cours de lettres.
Ce parcours de neuf séances, conçu pour des élèves de Seconde, intègre lectures expressives, commentaires guidés, confrontation entre mises en scène, analyse collaborative, rédaction de discours lyriques et usage critique de l’IA. Il s’articule autour d’un portfolio numérique, fil rouge du projet, qui permet aux élèves de suivre leurs apprentissages, de formuler leurs interrogations, et de construire une voix d’interprète autonome.
L’article se structure en quatre temps complémentaires :
- Les principes pédagogiques fondateurs, qui ont orienté la conception de la séquence et défini ses objectifs majeurs.
- Le déroulement des neuf séances, analysées à travers les productions des élèves et les activités menées.
- Une réflexion sur la place de le renouvellement des **pratiques d’évaluation **.
- Un bilan critique sur l’intégration de l’intelligence artificielle, examinant ses apports, ses limites et les conditions de son usage pédagogique raisonné.
1. Les principes qui ont guidé la construction de la séquence
La séquence proposée autour de Britannicus s’inscrit dans une réflexion sur les finalités et les modalités de l’enseignement des lettres à l’heure où les pratiques de lecture, d’écriture et d’analyse évoluent rapidement. Dans un environnement éducatif marqué par la multiplicité des outils numériques — parmi lesquels l’intelligence artificielle prend une place croissante — il devient essentiel de redéfinir les gestes pédagogiques qui permettent aux élèves de s’approprier les œuvres littéraires de manière active, sensible et critique.
Loin de recentrer l’enseignement sur ces nouveaux outils, la séquence entend au contraire renforcer ce qui fait la spécificité de l’expérience littéraire : le temps long de l’interprétation, la construction progressive d’un jugement, l’exploration nuancée du langage et la confrontation des points de vue. Six principes ont ainsi guidé la conception de cette progression, plaçant l’élève en position d’acteur de son parcours, capable de mobiliser des ressources diverses, tout en développant une voix singulière dans un dialogue constant avec les textes, les autres, et lui-même.
La pédagogie des lettres, dans un contexte où l’IA est présente, doit viser à :
- Réaffirmer la valeur du temps long dans l’apprentissage
Elle met en avant la nécessité de lire, relire, commenter, annoter, comparer, réécrire. Au-delà de la solution « immédiate » parfois offerte par l’IA, cette pédagogie valorise l’échelonnement des tâches, la maturation des idées, l’approfondissement progressif des interprétations. L’enseignant rend visibles aux élèves les bénéfices intellectuels de l’attente, de l’effort, de la lente élaboration, afin de souligner ce que la temporalité lente apporte à la compréhension profonde et à la formation du jugement. - Centrer l’évaluation sur la démarche et la réflexivité
Plutôt que d’évaluer uniquement le produit fini (commentaire, dissertation, résumé), la pédagogie des lettres valorise le parcours, la réflexion sur les choix linguistiques et interprétatifs, les étapes de la compréhension, de la structuration et de la réécriture. L’enseignant invite les élèves à expliciter leur démarche, à verbaliser leurs hésitations, à documenter leur processus. Cette approche n’exclut pas le résultat final, mais en relativise l’importance face à la qualité de la progression, la cohérence du cheminement et la prise de conscience des ressources mobilisées. - Encourager la créativité et la singularité en reconnaissant la standardisation de l’IA
Sans faire de l’IA un objet d’enseignement spécifique, la pédagogie des lettres assume que l’élève vit dans un univers où des outils génériques et uniformisants sont disponibles. Elle insiste donc sur l’originalité et l’authenticité de la production humaine. Au lieu de soupçonner systématiquement un recours à l’IA, l’enseignant montre la valeur d’une pensée personnelle, d’un angle d’approche inhabituel, d’une écriture riche de nuances. L’accent est mis sur ce que l’humain peut offrir et que la machine ne peut que simuler de manière convenue : sensibilité, regard critique, humour, métaphores surprenantes, ou encore liens inattendus entre textes. - Valoriser l’agentivité et le pouvoir d’agir des élèves
L’enseignant conçoit des activités où la compétence de l’élève ne se mesure pas au respect d’une norme figée, mais à sa capacité à formuler des interprétations argumentées, à discuter des points de vue, à ajuster son travail en réaction aux retours. Il s’agit de renforcer la confiance des élèves dans leurs capacités, leur goût du questionnement, leur volonté de faire sens. Loin d’une posture méfiante face à l’IA, le professeur encourage une position active de l’élève : identifier ce qui fait la valeur d’un texte, remettre en cause sa première interprétation, oser la critique et la réécriture, et développer une sensibilité littéraire propre. - Donner une place centrale au dialogue et à la collaboration
Cette pédagogie favorise les échanges entre pairs : discussions sur la pertinence d’une analyse, comparaisons de lectures différentes d’un même texte, élaboration collective de grilles d’évaluation qualitative. Sans focaliser sur l’IA, l’enseignant crée des situations qui incitent les élèves à confronter leurs idées, à co-construire des critères d’exigence, à négocier la signification d’un passage. Ainsi, la classe devient un espace de circulation des savoirs où la dimension sociale de l’apprentissage littéraire est renforcée. - Revaloriser la dimension culturelle et éthique de l’étude des textes
Face à un contexte médiatique où l’IA influence la circulation des œuvres et des idées, la pédagogie des lettres insiste sur la complexité des références culturelles, la diversité des points de vue, la richesse du patrimoine littéraire, les enjeux moraux, politiques ou esthétiques de la réception des textes. L’enseignant montre que comprendre une œuvre, c’est aussi se situer dans une histoire littéraire, dans une communauté interprétative, dans une réflexion sur le rôle du langage et de l’art dans la vie humaine.
Synthèse des 6 principes pédagogiques qui ont guidé l’élaboration de la séquence
En somme, cette pédagogie des lettres qui tient compte de la présence de l’IA, sans en faire le cœur du dispositif, s’attache à faire ressortir ce que l’apprentissage littéraire a de spécifique et d’irremplaçable : l’exploration lente et réfléchie de la complexité des textes, la valorisation de la démarche, la reconnaissance du travail singulier et créatif de l’élève, le développement d’un esprit critique nourri par la confrontation des points de vue, et la réaffirmation du lien entre littératie, humanité, sens et culture. L’IA n’est alors pas un ennemi, ni même nécessairement un partenaire explicite, mais un horizon contextuel qui incite l’enseignant à affiner ses pratiques et à renforcer ce qui fait l’essence même de l’enseignement des lettres.
Déroulé de la séquence et analyse des productions élèves
La séquence sur Britannicus a été construite à partir d’une double exigence : permettre une lecture sensible et rigoureuse de la tragédie, et accompagner les élèves dans une démarche réflexive sur leurs apprentissages, leurs outils, et leur posture de lecteurs.
Aperçu du déroulé des 9 séances de cours
1. Aux origines du conflit : découvrir la tragédie et entrer dans l’univers de Britannicus
La séquence s’ouvre par une exploration des codes de la tragédie classique — unités, bienséance, catharsis — en lien avec la situation initiale de Britannicus. L’étude guidée de la scène 1 (acte I) permet d’identifier les premières tensions entre les personnages et d’entrer progressivement dans l’écriture racinienne, avec ses silences lourds, ses non-dits, et ses jeux de pouvoir implicites. Dès cette étape, les élèves sont invités à initier un portfolio réflexif, conçu à la fois comme trace personnelle de leur parcours, outil de mémorisation, et espace d’appropriation.
Capture d’écran de la page de cours dans Moodle
À ce stade, le travail s’attache à établir une culture littéraire commune tout en permettant l’entrée dans le texte : un élève note par exemple dans son portfolio qu’il découvre une scène où, selon ses propres mots,
« le pouvoir et les intrigues règnent » dans « un palais où Agrippine, autrefois puissante, se sent frustrée et isolée ».
Ce regard sensible s’accompagne d’une attention aux effets du style : la citation « Je le craindrais bientôt, s’il ne me craignait plus » est perçue comme un tournant dramatique, qui
« montre la fragilité du pouvoir et la vulnérabilité d’Agrippine ».
Par cette lecture, il fait déjà l’expérience de ce que signifie interpréter un texte en profondeur, en articulant le politique et l’intime. Il note que
« le mélange entre conflit familial et politique rend la situation plus intense et plus tragique »,
annonçant déjà les enjeux majeurs de la pièce.
Cette première approche installe donc une temporalité d’apprentissage longue, faite de relectures, d’annotations, d’interrogations progressives — comme celle qu’ouvre cette remarque notée par un élève dans son portfolio :
« Jusqu’où Agrippine est-elle prête à aller pour regagner son influence sur Néron ? »
Cette question ouverte, à la fois littéraire et morale, incarne déjà une posture critique : celle d’un lecteur engagé dans la complexité du texte. Le portfolio permet de garder des traces de cette lecture et des apprentissages, traces sur lesquelles les élèves reviendront en fin de séquence.
2. Observer la montée des passions : formuler une problématique, interroger l’IA
La scène 2 de l’acte II, où Néron exprime sa passion tourmentée pour Junie, inaugure un travail articulant lecture de la pièce et apprentissage méthodologique. Après une lecture collective approfondie et une identification guidée des procédés stylistiques, les élèves sont invités à formuler une problématique personnelle à partir du texte et à la partager sur un mur collaboratif.
Capture d’écran du mur collaboratif receuillant les différentes problématiques élaborées par les élèves
Par la suite, les élèves choisissent ou reformulent la problématique qui leur semble la plus pertinente et la soumettent à un outil d’intelligence artificielle. L’activité donne lieu à une réflexion dans le portfolio sur les écarts entre lecture humaine et suggestions automatiques.
Ce travail vise plusieurs objectifs imbriqués :
- en encourageant les échanges facilités par le mur collaboratif, développer une compétence de problématisation, parfois fragile à ce stade de la scolarité ;
- expérimenter une réflexivité critique sur les outils numériques, non pour les rejeter, mais pour mieux en situer la portée et les limites ;
- valoriser la singularité du regard humain, en mettant en évidence ce que l’IA perçoit – ou non – dans les tensions du texte tragique.
Consignes données dans Moodle
Pour plusieurs élèves, l’outil d’IA a joué un rôle de catalyseur : en reformulant leur problématique, en proposant des axes d’analyse ou en rappelant des citations précises, il a permis d’approfondir leur réflexion.
Ainsi, un élève partant d’une question formulée de façon pertinente – « Comment Racine montre-t-il que l’amour de Néron est à la fois obsessionnel et sadique ? » – identifie des passages-clés comme « J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler » et « De son image en vain j’ai voulu me distraire », et note :
« L’IA m’a proposé une reformulation plus claire : “En quoi le discours de Néron révèle-t-il la dualité entre l’amour passionnel et la souffrance, illustrant ainsi les dangers d’une obsession destructrice ?” Je trouve cette phrase très intéressante, car elle garde mon idée tout en la rendant plus structurée. »
D’autres ont pris conscience, à travers la comparaison, des limites de leur propre formulation initiale. Par exemple, un élève qui avait proposé : « En quoi le discours de Néron montre-t-il que son amour pour Junie est sadique ? », écrit :
« L’IA m’a dit que ma question était bien, mais trop restreinte. Elle m’a proposé d’élargir la question pour inclure aussi le thème de la beauté. Cela m’a fait comprendre qu’il fallait éviter de trop se focaliser sur un seul aspect du texte. »
Plusieurs limites sont néanmoins apparues, révélant des fragilités dans la maîtrise de la démarche aussi bien que dans la manière d’interagir avec l’IA, en ce début de séquence :
- Des requêtes peu précises ou peu explicites : dans certains cas, les élèves ne formulent pas clairement leur demande à l’IA. Le manque de rigueur dans la consigne (« j’ai posé ma question à l’IA » sans que l’on sache comment) empêche de bien comprendre le processus engagé. Il est probable que, faute de formation à la rédaction de requête, les échanges avec l’agent conversationnel soient restés vagues ou peu productifs.
- Une réception trop passive des réponses : certains élèves reproduisent simplement ce que l’IA leur a répondu, sans en proposer une évaluation critique. Par exemple :
« J’ai remarqué que l’IA avait le même avis que moi. »
Ce type de commentaire reste descriptif, sans distance ni analyse, comme si la validation par la machine suffisait à légitimer l’interprétation.
- Une difficulté à juger de la qualité d’une reformulation : les élèves manquent encore d’outils pour évaluer la pertinence d’une question analytique ou la qualité argumentative d’une réponse. Ainsi, un élève écrit :
« L’IA m’a proposé d’autres idées, mais je ne sais pas trop si c’était mieux. »
Cette hésitation témoigne d’une insécurité interprétative, à laquelle l’outil numérique ne remédie pas spontanément.
- Une fragilité initiale sur la notion de problématique : la difficulté d’interroger l’IA reflète souvent une difficulté préalable à construire une bonne question. Si la problématique est floue, fermée ou mal formulée, la réponse de l’IA sera inévitablement pauvre ou hors sujet.
Ces limites n’annulent pas l’intérêt de l’activité : au contraire, elles ont permis de faire émerger les conditions d’un usage pertinent de l’IA, en rendant visibles les écarts entre une simple interaction et un véritable dialogue critique avec la machine.
Même si la posture critique reste encore à consolider, cette étape constitue une entrée féconde dans le travail interprétatif, car elle déplace l’attention du produit vers le processus, et de l’analyse seule vers un dialogue interprétatif médiatisé. Cette deuxième séance a ainsi permis d’articuler plusieurs principes pédagogiques centraux : le développement de la réflexivité, la **revalorisation de la démarche, **le renforcement de l’agentivité.
3. Pouvoir et famille : lecture thématique en groupes (Actes I à III)
Dans cette troisième étape, les élèves abordent les actes I à III à travers un travail collectif de lecture thématique. Répartis par groupes autour de l’un des personnages majeurs (Néron, Agrippine, Junie, Britannicus), ils sélectionnent des extraits, analysent les tensions familiales et politiques, puis présentent leur lecture à l’oral. Ce travail est prolongé dans le portfolio individuel, où chaque élève rédige une synthèse.
Capture d’écran des consignes dans Moodle
Ce dispositif vise à développer une culture du dialogue autour des textes, à valoriser la dimension sociale de la compréhension littéraire, et à permettre à chacun de construire un point de vue personnel dans l’interaction. Il encourage aussi le passage d’une lecture linéaire à une lecture problématisée, croisant pouvoir, filiation et passion.
L’activité donne souvent lieu à un relevé intéressant de citations pertinentes dans les trois actes.
Capture d’écran d’un forum
Mais cette richesse est peu conservée dans les portfolios. Le passage du collectif à l’individuel reste fragile : les élèves peinent à structurer leurs idées ou à reformuler l’essentiel. Un exemple le montre bien : le groupe ayant travaillé sur Junie avait relevé des citations très significatives – « C’est à moi qu’on donne une rivale », « Ma place est occupée et je ne suis plus rien » – mais les analyses s’étiolent dans le portfolio, devenant des phrases brèves, parfois répétitives ou déconnectées. La logique d’ensemble du raisonnement se perd.
Certaines citations sont mal interprétées, voire sorties de leur contexte. Ainsi, une réplique de Britannicus (« Moi, pour vous obéir… ») est comprise comme un aveu de soumission, alors qu’elle exprime au contraire une tentative de résistance. Ce type de glissement montre que les élèves ont encore besoin d’accompagnement pour lier précisément citation et interprétation.
Les forums, utilisés comme espaces préparatoires, ont permis d’accumuler beaucoup d’idées, mais leur densité les rend difficiles à exploiter par les élèves. Ceux-ci semblent s’y perdre et peinent à faire le tri et à construire une réflexion personnelle à partir des apports collectifs.
Les traces des élèves dans leurs portfolios témoignent toutefois d’une appropriation progressive des enjeux. On observe parfois des formulations certes vagues ou mal articulées, mais aussi des tentatives d’analyse plus fines. Les traces dans les portfolios montrent des acquis en construction. Dans un extrait un peu confus de son portfolio, un élève va noter avec clairvoyance :
« Chaque conflit familial va pratiquement toujours devenir un conflit politique, car Néron est empereur. »
Les présentations orales réalisées par plusieurs élèves facilitent sans doute la formulation de lectures globales, comme cette élève qui identifie le double statut de Junie :
« Le triangle amoureux entre Junie, Britannicus et Néron… Junie est une des victimes de la situation à cause de Néron. Elle devient la raison de la tension et des conflits de pouvoir et familiaux. Britannicus est aussi victime : il pense avoir perdu Junie parce que Néron a plus de pouvoir que lui. Il perd donc l’amour et le pouvoir politique. »
Ces exemples montrent que les élèves commencent à percevoir la complexité des liens entre famille, pouvoir et passion, mais qu’ils peinent encore à formuler clairement les enjeux et à s’appuyer sur des citations précises.
En somme, cette étape témoigne d’une appropriation en cours. Le travail en groupe stimule la lecture, l’oral permet de clarifier certaines idées, mais l’écriture individuelle reste souvent superficielle. Mieux accompagner le passage de l’analyse collective à la trace personnelle, et donner plus de temps à la reformulation, permettrait sans doute de renforcer la profondeur des réflexions.
4. Appropriation d’une scène centrale : analyser l’acte III, scène 8 et construire un plan
La scène 8 de l’acte III, qui oppose frontalement Néron et Britannicus, donne lieu à un exercice de commentaire structuré, centré sur l’analyse des rapports de force et sur la progression de la tension tragique.
Après une lecture collective, les élèves sont invités à formuler une problématique personnelle et construisent un plan de commentaire argumenté en binôme. Ce plan est ensuite soumis à un outil d’IA, dans le cadre d’une activité encadrée visant à comparer les propositions humaines et celles générées automatiquement. L’objectif est de renforcer l’autonomie interprétative, d’aiguiser la pensée critique, et de faire de l’IA un outil de vérification et de reformulation, non de substitution.
Consignes données dans Moodle
Malgré la clarté des consignes, peu d’élèves ont suivi toutes les étapes, notamment celles qui demandaient de documenter précisément leurs échanges avec l’IA. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces difficultés : une maîtrise encore fragile de la problématisation, une expérience limitée du travail avec l’IA, et une méconnaissance des requêtes efficaces pour obtenir des retours pertinents.
Certains binômes ont su formuler des problématiques pertinentes et tirer parti de l’interaction avec l’IA pour affiner leur plan. Ainsi, une élève propose :
« Comment cette scène met-elle en lumière la domination de Néron et l’impuissance tragique de Britannicus ? »
Le plan proposé distingue clairement la domination de Néron (menaces, autorité), la rivalité autour de Junie, et la tension croissante jusqu’à l’appel des gardes.
La reformulation par l’IA n’a pas bouleversé la structure, mais a permis d’enrichir le vocabulaire, d’affiner les titres des parties, et d’ajouter des sous-parties plus ciblées.
Autre exemple intéressant : une élève part d’un plan trop narratif, mais l’IA lui suggère d’orienter l’analyse vers les motivations psychologiques, la construction de la tension, et le rôle de Junie comme catalyseur. L’élève reformule alors sa problématique pour qu’elle tienne compte de cette complexité :
« Comment la rivalité entre les deux personnages, nourrie par leurs ambitions et leurs sentiments pour Junie, se manifeste-t-elle dans un conflit à la fois direct et indirect, et quelles en sont les conséquences ? »
On observe ici une vraie progression dans la formulation de la pensée.
Dans d’autres cas, le dialogue avec l’IA reste superficiel. Des élèves recopient simplement le plan proposé, sans recul critique, ou signalent que « l’IA a dit que c’était bien », sans justification. On note aussi des formulations peu claires ou mal construites :
« Par quel moyen Britannicus essaye de se défendre suite à l’humiliation de Néron envers lui. »
La problématique est énoncée comme une phrase maladroite, et l’élève reste flou sur ce qu’il garde ou rejette des propositions de l’IA. De plus, certains ne précisent pas la requête utilisée, rendant l’analyse difficile.
Dans un autre exemple, l’IA propose une métaphore discutable (« Junie comme un miroir de l’âme de Néron »), et l’élève ne parvient pas à expliquer pourquoi cette piste ne lui semble pas pertinente. Cela montre une difficulté à exercer un regard critique face à des formulations séduisantes, mais peu opérantes pour le commentaire.
L’exercice a permis de mettre l’accent sur le processus intellectuel : du repérage des enjeux à la structuration du raisonnement, en passant par la mise à l’épreuve de la problématique. Les élèves ont progressé dans leur capacité à élaborer un plan, mais ils ont encore besoin d’un accompagnement plus précis pour :
- apprendre à formuler des requêtes efficaces,
- délimiter une problématique opératoire,
- mobiliser un regard critique sur les propositions automatiques.
Une reprise collective des productions permettrait d’approfondir les ajustements opérés, et d’enrichir la réflexion sur la valeur du jugement humain dans l’élaboration d’une lecture littéraire.
5. Comparer deux mises en scène : lecture scénique et interprétation
L’étude de la scène 2 de l’acte IV, centrée sur l’affrontement entre Agrippine et Néron, s’appuie sur le visionnage comparé de deux mises en scène contemporaines (Braunschweig et Martinelli). Après la lecture analytique du texte, les élèves observent attentivement les choix de jeu des acteurs, leur déplacements sur la scène, et la scénographie. Ils sont invités à formuler des hypothèses interprétatives et à confronter leurs points de vue en classe avant de produire une synthèse individuelle dans leur portfolio.
Ce travail a pour fonction de nourrir une lecture vivante, ancrée dans une culture du théâtre comme pratique interprétative. Il vise à faire émerger la multiplicité des lectures légitimes, à entraîner les élèves à **argumenter **esthétiquement leurs préférences, et à inscrire leur rapport au texte dans une culture scénique active. Il prépare également une étape ultérieure de la séquence : la mise en voix et en scène par les élèves eux-mêmes de la scène 1 de l’acte V.
Capture d’écran du portfolio d’un élève
Dans leur portfolio, certains élèves prennent appui sur des éléments visuels précis pour construire leur jugement. L’un d’eux écrit :
« La scène qui m’a le plus marqué est celle de Braunschweig. Elle est plus froide, plus sérieuse, on sent mieux la tension entre Agrippine et Néron. Elle est aussi plus facile à comprendre que la première. »
Un autre remarque que
« Dans celle de Braunschweig, Agrippine joue sur la tristesse et la pitié pour amadouer Néron. Les personnages sont très distants. Le personnage de Néron est plus crédible. Dans celle de Martinelli, Agrippine est plus énergique et intense, mais Néron paraît enfantin. »
Certains portfolios témoignent également d’une attention aux choix de mise en scène qui influent sur la lecture du pouvoir :
« Dans la première, les personnages se rapprochent vite, se touchent. Dans la deuxième, ils restent distants, ils ne se regardent pas, ce qui garde la tension. »
ou encore :
« Dans la première, il n’y a qu’une chaise. Agrippine s’y assied comme si elle allait s’évanouir, cela donne une impression de fragilité. »
Ces traces sont encore hétérogènes dans leur formulation et leur degré de précision, mais elles montrent une progression dans la capacité à formuler un jugement critique sur une interprétation scénique, et à faire dialoguer lecture du texte et expérience visuelle. L’activité agit donc comme une étape charnière entre lecture et appropriation créative.
6. Junie entre vulnérabilité et résistance : réécriture, critique et lyrisme
Cette étape propose une exploration approfondie du personnage de Junie, combinant étude de texte, réécriture, écriture d’invention et comparaison avec des productions générées par l’intelligence artificielle. L’objectif est double : affiner l’interprétation littéraire, et exercer un regard critique sur les capacités expressives de l’IA.
1. Lecture et interprétation : une figure tragique en débat
Le parcours s’ouvre sur l’étude collective de scènes-clés où Junie exprime la peur, la fidélité, le refus ou la lucidité (II, 3 ; II, 6 ; III, 7 ; V, 1). Cette lecture nourrit un forum autour d’une question centrale : Junie est-elle un personnage passif ou résistant ? Les élèves y développent des points de vue contrastés. Certains la perçoivent comme soumise, dominée par les forces politiques qui l’entourent ; d’autres relèvent sa constance affective ou son courage dans le refus. La plupart des interventions restent générales, sans appui solide sur les vers du texte, mais révèlent une attention à la complexité morale du personnage.
Capture d’écran du forum receuillant les premières réflexions des élèves sur Junie
2. Réécriture des vers par l’IA : gains de clarté, pertes de style
Afin de porter une attention plus grande au texte de Racine, les élèves se sont réparti les différentes scènes dans lesquelles Junie apparaît et ont ensuite sélectionné des vers extraits de leur scène. L’activité a consister à faire reformuler ces vers en prose par un système d’IA, avec pour consigne d’analyser ce que cette opération fait perdre ou clarifie. Ce travail a suscité des observations variées, souvent pertinentes.
Trois types de constats récurrents :
- La perte de musicalité et de rythme : beaucoup regrettent la disparition des effets liés à la versification (retour à la ligne, rimes, élans syntaxiques).
- La simplification du propos, jugée utile pour la compréhension, mais souvent ressentie comme un appauvrissement émotionnel.
- La disparition des figures de style : les métaphores, l’ambiguïté, les exclamations expressives sont souvent remplacées par un vocabulaire neutre ou explicatif.
Quelques exemples montrent une réelle capacité d’analyse :
« La reformulation est plus claire, mais on ne ressent plus la tension des vers. »
« ‘Il me fuit’ devient ‘il m’évite’ : le mot est plus banal, moins fort. »
« L’exclamation ‘Combien de fois, hélas !’ disparaît complètement. »
D’autres commentaires restent plus superficiels ou répétitifs, soulignant uniquement que « le texte IA est plus simple » sans développer ce qui est perdu. Globalement, la plupart des élèves identifient un écart entre compréhension et émotion, sans toujours disposer des outils pour qualifier précisément ce qui rend un vers fort ou marquant.
Ce travail permet d’engager également une relecture plus approfondie des scènes clés du personnage de Junie.
3. Analyse approfondie des scènes : vers, interprétation et style
Les élèves publient dans un forum une analyse littéraire plus détaillée de la scène spécifique qu’ils ont choisi d’étudier, avec cette consigne : déterminer si Junie y apparaît comme faible ou résistante, et analyser quelques vers clés en lien avec la construction du sens par Racine.
La majorité des contributions confirment que les élèves perçoivent Junie comme une figure résistante malgré sa vulnérabilité. Trois vers reviennent de manière récurrente, servant de point d’ancrage à cette lecture :
- « J’aime Britannicus. Je lui fus destinée » ;
- « Il fallait me taire, et vous sauver » ;
- « Si vous craignez Néron, lui-même est-il sans crainte ? ».
Ces citations sont souvent commentées de façon pertinente, mais encore inégalement approfondie. Certains élèves se contentent d’une interprétation morale (« elle défie Néron », « elle est courageuse »), tandis que d’autres commencent à prêter attention aux procédés stylistiques :
« La ponctuation (virgules et points-virgules) crée un effet de tension et de précaution, comme si Junie pesait chaque mot. »
« Elle défie l’autorité de Néron, non pour elle, mais pour son bien-aimé. »
Quelques analyses témoignent d’un regard nuancé : Junie apparaît à la fois comme une figure tragique dominée et comme une héroïne morale.
« Junie est faible au début car elle obéit à Néron, mais elle devient résistante en se sacrifiant pour protéger Britannicus. »
On note néanmoins que l’analyse des procédés d’écriture reste peu maîtrisée : rares sont ceux qui identifient figures de style, structure du vers, ou vocabulaire tragique. La majorité reste centrée sur le contenu explicite du texte.
4. Voix humaine, voix générée : écrire un discours lyrique et interroger l’intelligence artificielle
C’est pourquoi la suite de la séance propose aux élèves un exercice d’écriture créative d’appropriation. Ils ont rédigé un discours lyrique du peuple en réaction à la fuite de Junie, à partir du récit final d’Albine (V, 7) et devaient mobiliser les procédés du registre lyrique étudiés en amont (champ lexical des émotions, images poétiques, apostrophes, rythme).
Capture d’écran des consignes données dans Moodle
Les productions sont inégales : certains discours parviennent à créer une tonalité émotive convaincante, d’autres restent plus descriptifs. Peu mobilisent tous les procédés attendus, mais beaucoup s’engagent dans l’exercice et construisent une parole collective adressée à Junie.
A l’issue de cet écrit d’appropriation, deux activités au choix leur étaient enfin proposées :
- Utiliser un système d’IA pour comparer la vision de Junie avec d’autres héroïnes raciniennes
- Comparer un discours produit par un système d’IA et un écrit personnel
Tous les élèves ont choisi de comparer leur discours lyrique avec celui généré par une intelligence artificielle à partir des mêmes consignes. Cette confrontation donne lieu à des retours contrastés, oscillant entre admiration pour la maîtrise stylistique de l’IA et affirmation d’une voix personnelle jugée plus authentique. Si cette étape stimule la réflexion sur les effets produits, elle révèle aussi des limites dans la capacité à problématiser cette comparaison au-delà de la forme.
Plusieurs élèves reconnaissent les qualités formelles des textes produits par l’IA. Le discours généré est perçu comme « plus complet et riche en émotions », ou encore comme un texte « qui met bien en avant le style tragique de Racine ». Dans ces retours, l’élève souligne l’efficacité de l’outil à produire des textes structurés, soutenus, mobilisant un registre lyrique.
D’autres, en revanche, expriment des réserves sur l’aspect « trop soutenu » ou « trop artificiel » du langage IA, au point de s’interroger sur son effet de distanciation. Un élève écrit ainsi :
« Je trouve que mon discours est plus authentique, les phrases sont simples, mais elles expriment bien les sentiments. Celui de l’IA est trop artificiel selon moi à cause de toutes les personnifications. »
Cette critique récurrente d’un excès de lyrisme ou de complexité souligne une tension féconde : les élèves perçoivent que l’écriture humaine peut, par sa simplicité ou son ton personnel, produire une émotion que la sophistication d’un modèle automatique ne parvient pas à égaler. Un élève résume cette intuition en affirmant :
« En utilisant un langage simple, j’ai réussi à exprimer les émotions de Junie. »
Certains commencent aussi à exercer un regard plus technique sur les procédés employés. Un élève note par exemple l’usage de la personnification par l’IA – « Leurs âmes portent le poids de ta souffrance » – et identifie ce choix comme marqueur du style tragique. Cela montre un début de conscience stylistique, bien que peu d’élèves soient capables de nommer précisément les figures ou d’en évaluer la portée dans le contexte racinien.
Cependant, la posture critique reste globalement fragile. La plupart des retours se limitent à une comparaison émotionnelle ou stylistique (« mon texte est plus sincère », « l’IA écrit mieux, mais c’est moins vrai »), sans interroger le contenu interprétatif des discours. Aucun élève, par exemple, ne discute ce que l’IA « dit » vraiment de Junie : quelle image du personnage est construite ? Quels enjeux tragiques ou moraux sont mis en avant ? La voix du peuple exprime-t-elle la pitié ? La colère ? Le désespoir ? Cette absence de recul limite l’analyse au niveau formel, sans mobiliser pleinement les outils littéraires développés par ailleurs.
Certains élèves expriment aussi un regard dévalorisant sur leur propre travail, qualifié de « discours de débutant ». Cette posture empêche de reconnaître la singularité ou la pertinence d’un ton, d’une image, d’un choix d’adresse (« vouvoyer Junie, comme dans la pièce ») qui témoignent pourtant d’une attention réelle à l’univers tragique.
Enfin, plusieurs formulent une fierté discrète face à leur texte :
« Ce qui apporte de l’authenticité à mon texte, c’est que c’est écrit avec mes mots. »
« On distingue mon travail qui a réellement été fait par un humain par son authenticité. »
Cette affirmation d’une voix propre est un levier important : elle permet d’ouvrir un espace où l’élève peut envisager la création littéraire comme une activité légitime, sensible, incarnée – et non comme une simple imitation de modèles rhétoriques.
L’ensemble du parcours de cette séance, articulant lecture, réécriture et confrontation critique, a permis aux élèves de faire l’expérience concrète des effets du style tragique et des limites d’une reformulation automatisée. Il ouvre un espace pour développer, progressivement, une posture de lecteur autonome et sensible. Les productions restent souvent fragiles, mais elles témoignent d’un début d’engagement dans l’analyse et dans l’écriture.
7. Mettre en scène les tensions : Lecture expressive et scénographie de l’Acte V, scène 1
Autour de l’acte V, scène 1, les élèves sont invités à expérimenter différentes formes d’appropriation : lecture expressive à deux voix, création d’une mise en scène contemporaine, rédaction d’une note d’intention, production visuelle illustrant leur proposition, et comparaison éventuelle avec une version générée par une IA. L’objectif est de faire émerger, par des moyens variés, les tensions dramatiques et émotionnelles entre Junie et Britannicus, et de relier texte, image et voix dans une interprétation construite.
La lecture expressive en binômes permet tout d’abord de mettre en relief les affects contradictoires qui traversent la scène : la confiance (presque naïve) de Britannicus, la lucidité inquiète de Junie. Plusieurs binômes jouent sur le contraste de ton, les ruptures d’intonation ou les silences. Cette phase favorise une entrée incarnée dans le texte, qui aide certains élèves à mieux comprendre les intentions et la progression dramatique de la scène.
Ensuite, les élèves font des propositions de mise en scène. Celles-ci se distinguent par leur diversité : certaines mettent en avant l’étouffement d’un huis clos, d’autres insistent au contraire sur l’éloignement physique des personnages pour figurer leur désaccord émotionnel. L’un des travaux souligne par exemple que Junie se déplace beaucoup tandis que Britannicus reste assis, traduisant visuellement l’agitation intérieure de l’une et la certitude tranquille de l’autre. Cette dissymétrie renforce le déséquilibre affectif entre les deux personnages.
« Junie est debout et Britannicus est assis. Junie se déplace beaucoup dans la pièce car elle est tourmentée. »
À partir de leur mise en scène, les élèves génèrent une illustration via un outil d’IA, qu’ils commentent dans leur portfolio. La rédaction d’un prompt et cet ancrage visuel obligent à fixer un parti pris et à justifier les choix symboliques. Dans l’exemple mentionné, le regard de Junie, « vide », devient un indice de son désarroi intérieur ; les bruits de la cour sont évoqués pour souligner son isolement émotionnel, seul personnage à ressentir une menace dans un climat d’apaisement trompeur.
« Il n’y a que Junie qui est inquiète. »
Un autre élève insiste sur le regard « vide » de Junie, visible sur l’illustration générée, et sur le contraste avec l’attitude « très sereine » de Britannicus, montrant une lecture sensible du langage corporel comme prolongement du texte.
Illustration générée par une élève à l’aide d’un système d’IA
Illustration générée par une élève à l’aide d’un système d’IA
Plusieurs notent également dans leur portfolio les limites des systèmes d’IA à générer une image qui corresponde vraiment à leur intention ou aux directives qu'ils ont données.
Cette séance a permis d’explorer la scène non seulement par l’analyse, mais aussi par l’expérimentation : voix, espace, lumière, posture. Les travaux restent parfois descriptifs, ou appuyés sur des intuitions visuelles peu approfondies. Néanmoins, la majorité des productions témoignent d’une appropriation active et sensible du texte.
8. Tragédie et commentaire : réviser, être lu, se relire
La séance 8 s’organise autour d’un travail progressif de rédaction et de révision, pour ancrer les compétences du commentaire littéraire dans une démarche réflexive.
Après l’étude collective du texte de Racine, les élèves commencent par élaborer un plan de commentaire sur une scène clé du dénouement (Acte V, scène 5), en formulant une problématique littéraire claire, en structurant leur propos en parties et sous-parties cohérentes, et en intégrant des éléments d’analyse stylistique. L’objectif est d’articuler sens et forme, en dépassant la simple paraphrase.
Le plan est ensuite déposé sur le module Atelier de Moodle. Chaque élève lit le travail d’un camarade, l’évalue selon une grille formative, et formule un retour en trois temps sur ce qui fonctionne bien, ce qui peut être amélioré et une suggestion concrète.
Consignes données pour le module Atelier de Moodle
qui permet de donner un feedback sur les commentaires des pairs
Ce dispositif développe la capacité à évaluer une interprétation littéraire, à en repérer les qualités et les limites, et à affiner ses propres critères de jugement.
Exemple de feedback donné par un élève
Dans une troisième étape, les élèves sont invités à revoir leur commentaire linéaire à la lumière de deux types de retours complémentaires : ceux d’un outil d’intelligence artificielle et ceux de leurs camarades, recueillis dans le module Atelier de Moodle. Il s’agit de les amener à développer une posture réflexive face à la réécriture, en comparant les conseils reçus, en les hiérarchisant, et en formulant un jugement critique.
Le processus se déploie en trois temps :
- d’abord, les élèves soumettent leur brouillon à un outil d’IA, en sollicitant des améliorations sur la clarté, l’organisation et la précision des analyses ;
- ensuite, ils consultent les retours rédigés par leurs pairs dans l’espace Moodle, en identifiant les points forts et les axes d’amélioration récurrents ;
- enfin, ils sont invités à mettre en regard ces deux types de retours, à questionner leur complémentarité, et à formuler une réflexion critique sur leur utilité respective.
Ce travail de comparaison permet de faire émerger une conscience accrue des critères de qualité d’un commentaire littéraire, tout en posant un regard lucide sur les apports et les limites de l’IA en contexte interprétatif.
Dans les traces réflexives conservées dans leur portfolio, la majorité des élèves évoque des difficultés d’organisation : plusieurs témoignent d’un manque de clarté dans leur plan ou d’un usage trop limité des citations. L’un d’eux écrit :
« Durant ma rédaction j’ai eu du mal à organiser toutes les réflexions que nous avions mises en commun. »
Un autre note :
« Le plus dur pour moi, ça a été la structure du commentaire, trouver des parties et sous-parties cohérentes. »
L’apport de l’IA est globalement reconnu comme utile pour la structuration et pour la reformulation de certaines idées :
« L’IA m’a aidé à éclairer mes idées et à détailler mes arguments. »
« Elle m’a donné des conseils pour rendre mes transitions plus logiques et mon introduction plus claire. »
Cependant, plusieurs élèves relativisent cette aide : certains soulignent que les retours de l’IA sont généraux ou trop standardisés, et que le regard humain reste plus pertinent pour l’analyse fine du texte racinien.
« L’IA donne un regard global, mais mes camarades comprennent mieux le contexte. »
« L’IA ne m’a pas vraiment aidé à clarifier mes idées, mais elle m’a donné des conseils pour approfondir les procédés. »
Les évaluations entre pairs sont généralement jugées plus concrètes et utiles pour faire évoluer le texte. L’un des élèves écrit :
« Grâce à leurs conseils, j’ai pu voir ce qui n’allait pas, comme mieux structurer mes paragraphes. »
Dans l’ensemble, la confrontation entre les retours de l’IA et ceux des pairs a permis une prise de conscience des critères de qualité du commentaire : cohérence argumentative, usage des citations, précision des analyses littéraires, capacité à faire ressortir les enjeux tragiques.
« J’ai compris que les figures de style et les phrases exclamatives donnaient beaucoup de sens aux discours. »
« Je dois faire plus attention aux mots employés par Racine et mieux expliquer leur effet. »
Enfin, certains élèves expriment une préférence pour les retours humains, soulignant leur dimension interprétative :
« Une personne ressent mieux les émotions dans l’œuvre, donc sa conclusion peut être plus juste. »
Ainsi, cette dernière séance fait apparaître de façon très concrète les écarts de regard entre outils automatiques et lectures humaines, tout en permettant aux élèves de mieux cerner les exigences d’un commentaire littéraire. Elle révèle aussi la nécessité d’un accompagnement renforcé pour aider à organiser la pensée, formuler les analyses et affiner l’écriture critique.
9. Synthèse réflexive : relire un parcours d’apprentissage
La neuvième et dernière séance de la séquence Britannicus est consacrée à un travail de **synthèse personnelle. **Elle vise à permettre aux élèves de revenir sur l’ensemble de leur parcours d’étude de la pièce, à travers une sélection raisonnée d’éléments marquants, et à structurer une réflexion argumentée sur leurs apprentissages. Ce travail prend **appui sur le portfolio numérique **qu’ils ont alimenté tout au long de la séquence.
La séance débute par un temps de relecture individuelle. Les élèves parcourent les différentes pages de leur portfolio, en vérifiant, à l’aide d’une checklist, que l’ensemble des rubriques obligatoires ont bien été renseignées. Ce travail préparatoire leur permet de prendre du recul sur leur cheminement personnel.
Capture d’écran des consignes dans Moodle
Dans un second temps, les élèves sont répartis en petits groupes pour présenter oralement les quatre éléments retenus. L’objectif de cette phase est double : d’une part, permettre à chacun de verbaliser ses choix, d’en expliquer les raisons et d’illustrer son propos avec des exemples précis ; d’autre part, favoriser l’enrichissement mutuel à travers la confrontation des points de vue.
Cette étape prépare directement la rédaction de la synthèse en renforçant la clarté, la cohérence et la profondeur de la réflexion.
À ce stade de la séquence, une phase de réflexion individuelle est proposée de manière facultative : chaque élève peut choisir d’avoir recours à une IA générative pour l’aider à relire, structurer ou enrichir la rédaction de sa synthèse finale. Après plusieurs activités dans la séquence ayant déjà mobilisé l’IA de façon critique, cette étape laisse à chacun la liberté d’expérimenter ou non cet outil, en fonction de son besoin et de son degré d’autonomie.
Avant de recourir à l’IA, les élèves sont invités à se poser quelques questions clés :
- L’IA peut-elle m’aider à mieux structurer mes idées ? À reformuler plus clairement mes propos ? À approfondir certaines analyses ?
- Quels types de limites ou de dérives risque-t-elle d’introduire dans mon travail (généralités, simplifications, mécompréhension du texte) ?
Dans certains travaux, on observe que les élèves ont su intégrer une partie des retours de l’IA, tout en gardant une distance critique. C’est le cas, par exemple, d’un élève qui, après avoir reçu un retour pointant le rôle de la scène 2 de l’acte II dans la montée en puissance de Néron, a enrichi son analyse en insistant davantage sur l’enlèvement de Junie comme levier de manipulation :
« L’enlèvement de Junie est aussi ce qui pousse Britannicus à se révolter, car il comprend que Néron veut l’humilier. »
Cette formulation reprend de façon personnelle une idée suggérée dans le feedback IA : la manipulation politique et affective exercée par Néron à travers ce geste.
Cependant, on constate aussi que les conseils stylistiques et interprétatifs plus fins formulés par l’IA ne sont pas toujours exploités. Certains élèves en restent à des considérations générales, sans mobiliser pleinement les outils d’analyse littéraire évoqués (langue, procédés, registres, effets). Cette sélection partielle des apports de l’IA montre à la fois un usage raisonné et les limites d’un accompagnement non disciplinaire, d’autant plus lorsqu’il n’est pas accompagné.
En ce sens, cette étape permet de renforcer la posture critique attendue en fin de séquence : apprendre à tirer parti d’un outil numérique sans le surestimer, et savoir distinguer ce qui relève de l’aide à la formulation et ce qui reste du ressort de l’analyse littéraire proprement dite.
Enfin, les élèves rédigent une première version de leur synthèse. Celle-ci doit articuler les quatre éléments choisis, autour d’un angle structurant qu’ils définissent eux-mêmes : une progression intellectuelle (évolution de leur regard sur la pièce), une approche thématique (par exemple autour du pouvoir ou de la tragédie), ou une perspective méthodologique (travail sur l’analyse littéraire, sur l’argumentation, etc.).
Ce travail constitue un temps de retour sur soi et sur le parcours accompli. Il permet de consolider les apprentissages, de prendre conscience des compétences acquises, et d’adopter une posture réflexive vis-à-vis des outils mobilisés, notamment le portfolio et l’IA. C’est également une manière de donner du sens à l’ensemble de la séquence, en inscrivant l’étude de Britannicus dans une logique d’appropriation active et critique.
La plupart des synthèses témoignent d’une réelle implication des élèves, qui ont su identifier les moments forts de leur parcours et formuler un bilan personnel argumenté. Plusieurs ont choisi comme scène marquante l’Acte V, scène 5, souvent perçue comme un point culminant de la tension tragique. Dans un travail, cette scène est décrite comme révélatrice du basculement de Néron dans la cruauté absolue, avec une attention portée aux ruptures de ton et au contraste entre Burrhus et Narcisse. D’autres élèves se sont tournés vers l’Acte II, scène 2, pour analyser la montée de l’emprise psychologique de Néron sur Junie, parfois en écho avec les problématiques contemporaines de manipulation.
Les problématiques soulevées sont, dans l’ensemble, pertinentes, même si leur formulation reste parfois approximative. Plusieurs élèves ont ainsi travaillé autour de questions comme : Comment le pouvoir transforme-t-il les relations humaines ? ou La fatalité tragique est-elle une excuse pour les choix violents ? Dans un exemple, l’élève interroge le paradoxe d’un amour à la fois sincère et destructeur, en prenant appui sur les ambiguïtés du discours de Néron.
Les réflexions sur les compétences développées se concentrent largement sur les progrès méthodologiques : savoir structurer un plan, rédiger une introduction claire, ou mobiliser des citations à bon escient. Un élève écrit :
« J’ai appris à construire un commentaire avec des transitions logiques et à relier les figures de style à l’évolution psychologique des personnages »,
montrant une compréhension plus fine des enjeux stylistiques. Un autre reconnaît avoir pris conscience de l’importance du vocabulaire tragique chez Racine pour saisir la portée morale des scènes.
Les retours sur l’usage de l’IA sont hétérogènes. Plusieurs élèves reconnaissent que l’IA leur a permis d’améliorer l’organisation de leur travail ou de repérer des formulations maladroites, mais peu ont su interroger les limites interprétatives de l’outil. Certains notent que l’IA « explique bien, mais sans émotion » ou que ses propositions sont « générales et sans lien direct avec les scènes », soulignant ainsi une lucidité sur la distinction entre correction formelle et lecture littéraire. Une élève remarque néanmoins que l’IA l’a aidée à « repérer une ironie tragique qu’elle n’avait pas vue seule », montrant que l’outil peut parfois ouvrir des pistes d’analyse inattendues, à condition d’être interrogé de manière critique.
Ces synthèses montrent qu’un nombre significatif d’élèves ont su engager une réflexion personnelle et formuler des apprentissages significatifs. Leur capacité à relier scènes, concepts et méthodes s’est enrichie tout au long de la séquence, mais gagnerait à être davantage structurée. Le lien entre lecture et interprétation, entre choix stylistiques et construction du sens, commence à émerger, mais reste inégalement maîtrisé. La synthèse finale devient alors un outil de consolidation du savoir, mais aussi un espace de mise en récit de son propre rapport à la littérature : une entrée vers une lecture plus autonome, plus exigeante, plus personnelle.
3. Évaluer autrement à l’ère de l’IA : bilan réflexif d’une séquence sur Britannicus
L’évaluation au sein de cette séquence sur Britannicus n’est pas pensée comme une simple mesure de performance finale, mais comme un dispositif d’accompagnement du processus interprétatif. Dans le prolongement d’une première expérimentation menée l’année précédente — centrée sur l’alternance entre travail individuel, échanges sur forums et phases de révision — cette nouvelle séquence approfondit une logique déjà amorcée : déplacer le centre de gravité de l’évaluation vers la construction progressive du sens et la réflexivité critique. L’introduction raisonnée des IA génératives n’a pas bouleversé cette orientation, mais l’a complexifiée et rendue plus visible.
1. De l’évaluation du produit à la valorisation du processus
L’un des apports majeurs de la séquence tient à la mise en valeur des écrits intermédiaires : portfolios, forums, traces de reformulations, prompts adressés à l’IA, bilans personnels. Ces documents ne sont pas périphériques, mais structurants : ils permettent d’évaluer non seulement ce que l’élève sait dire du texte, mais comment il apprend à le lire. La capacité à problématiser, à affiner un plan, à justifier une interprétation, à réviser un brouillon en intégrant des retours – autant de gestes évalués dans leur dynamique, plutôt que dans leur seule conformité à un modèle attendu.
Sommaire du portfolio à l'issue de la séquence
Cette approche prolonge et dépasse la démarche de l’année précédente : alors que celle-ci s’appuyait sur une phase de révision structurée et un écrit réflexif final, la présente séquence inscrit la réflexivité au cœur même du parcours, séance après séance, notamment par l’intégration explicite de l’IA comme miroir critique.
2. Une diversification raisonnée des modalités évaluatives
Le recours à des formes d’évaluation variées et complémentaires a permis de mieux accompagner les temporalités d’apprentissage. On retrouve ici les fondements d’une pédagogie formative : quiz de connaissances, évaluation intermédiaire (sur Junie), productions collaboratives ou individuelles, écrite ou orales, relectures croisées, tâches complexes. La nouveauté réside dans l’orchestration plus fine de ces étapes : chaque évaluation est préparée par des activités structurantes (lecture analytique, forums, mur collaboratif) et prolongée par une phase réflexive.
Moment / Séance | Type d’évaluation | Modalité | Objectif pédagogique |
Séance 1 | Formative | Quiz H5P + QCM sur la tragédie classique | Évaluer les acquis initiaux, amorcer la lecture contextualisée |
Métacognitive | Impressions de lecture + questions personnelles (Portfolio 1) | Initier une posture interprétative personnelle | |
Séance 2 | Métacognitive | Relevé de citations + brève analyse (Portfolio 2) | Approfondir l’analyse de la passion tragique |
Métacognitive | Élaboration d’une problématique + feedback IA + réflexion (Portfolio 3) | Apprendre à problématiser, développer un regard critique sur les outils d’IA | |
Séance 3 | Formative | QCM H5P | Lecture des actes I à III |
Collaborative, formative, orale | Analyse par groupes (forum) + présentation orale + synthèse (Portfolio 4) | Approfondir les enjeux pouvoir/famille, pratiquer l’oral argumenté | |
Séance 4 | Collaborative, métacognitive | Rédaction de problématique + plan + feedback IA + révision (Portfolio 5-6) | Structurer une analyse argumentée, comparer interprétations (pairs/IA) |
Séance 5 | Formative et métacognitive | Test Moodle (Portfolio 7) | Comparer des mises en scènes |
Séance 6 | Formative, collaborative et métacognitive | Analyse collective (forum) + vers réécrits par IA + analyse stylistique (Portfolio 8) | Interroger la voix tragique de Junie, expérimenter la reformulation |
Formative et métacognitive | Rédaction du discours du peuple + comparaison IA (Portfolio 9) | Travailler le registre lyrique, évaluer la pertinence stylistique de l’IA | |
Sommative (partielle) | Paragraphe argumenté sur Junie (20 lignes min) | Mobiliser une lecture construite pour défendre une interprétation nuancée | |
Séance 7 | Expressive et créative, métacognitive | Mise en voix + création de mise en scène + note d’intention (Portfolio 10) | Comprendre les tensions dramatiques par le jeu et les choix esthétiques |
Séance 8 | Formative / collaborative / métacognitive | Commentaire linéaire (Moodle atelier) + retour IA + évaluation par les pairs (Portfolio 11) | Expérimenter une démarche d’analyse complète, intégrer plusieurs formes de retour |
Séance 9 | Métacognitive | Bilan du portfolio + échange oral en groupe + Devoir Moodle | Mettre en mots l’évolution des apprentissages (texte, méthode, posture critique, IA) |
Évaluation finale | Sommative | Travail guidé de commentaire | Faire le commentaire de façon autonome mais étayée de la scène finale d’Hernani. Accéder à la ressource. |
Cette démarche, amorcée l’an passé dans un cadre plus linéaire (analyse → rédaction → révision), trouve ici un niveau d’articulation supérieur, où les moments d’écriture et d’autoévaluation s’inscrivent dans une démarche d’interprétation à plusieurs voix, mobilisant celles de l’élève, de ses pairs, de l’enseignant, et parfois de l’IA.
3. Évaluer avec l’IA ? Une posture à construire, des compétences à développer
L’usage de l’IA dans cette séquence n’a pas transformé en profondeur les modes d’évaluation, mais il a contribué à renforcer une exigence de réflexivité déjà présente dans la démarche. En confrontant leurs productions à celles générées par un agent conversationnel, les élèves ont été amenés – parfois avec hésitation – à formuler leurs critères d’interprétation : qu’est-ce qu’un plan pertinent ? une reformulation fidèle ? une lecture juste d’un personnage ou d’une scène ?
Cette dynamique prolonge le travail engagé les années précédentes autour de la révision et de l’explicitation du raisonnement, en y ajoutant un tiers dialogique. Mais ce nouveau partenaire, l’IA, n’a pas toujours été identifié comme tel. Si certains élèves ont su tirer parti de cette confrontation pour préciser leur point de vue, la qualité des retours reste inégale : requêtes floues, réception passive des suggestions, ou difficulté à distinguer la pertinence littéraire des retours générés.
Le portfolio numérique, quant à lui, a permis de rendre visibles certains cheminements interprétatifs, sans toutefois garantir leur structuration. Les traces y sont souvent intéressantes mais inégales, révélant un investissement variable. L’élève y devient parfois analyste de sa propre lecture, mais ce geste reste à stabiliser : la pluralité des voix (la sienne, celle de ses pairs, de l’enseignant, de l’IA) n’est pas toujours perçue comme un levier de compréhension.
L’enjeu reste donc de consolider une évaluation comme dispositif intégré à l’apprentissage, centré sur la formulation des critères, la justification des choix et la progression du regard critique. L’IA n’y est pas un adjuvant magique, mais un outil d’écart : elle aide à nommer ce qui fait difficulté, à tester une hypothèse, à mieux situer sa propre voix – à condition d’être interrogée avec rigueur.
L’évaluation comme levier d’apprentissage
Tout au long de la séquence, l’évaluation a été pensée non comme un simple outil de vérification ou de sanction, mais comme un moyen d’accompagner les apprentissages. Loin de se réduire à la notation, elle prend des formes variées : activités réflexives, échanges entre pairs, productions intermédiaires, moments d’autoévaluation. Cette diversité permet de répondre à la pluralité des compétences mobilisées et de mieux respecter les rythmes d’appropriation des élèves.
Le portfolio numérique, en particulier, joue un rôle structurant. Il sert à la fois de trace, de support de travail et de tremplin pour développer une posture critique.
Dans ce cadre, la notation chiffrée devient secondaire. Elle n’intervient que ponctuellement, sur certains travaux ciblés. Ce qui compte davantage, c’est la qualité du cheminement : la capacité à revenir sur un brouillon, à justifier un choix d’analyse, à confronter son point de vue à celui des autres – qu’il s’agisse de camarades ou d’un outil d’IA. Évaluer, ici, c’est aider l’élève à mieux comprendre ce qu’il fait quand il lit, écrit, interprète.
4. Quelle place pour l’IA dans cette séquence ?
1. Une diversité d’usages progressifs et encadrés
Au fil de la séquence, l’intelligence artificielle a été mobilisée à travers des activités différenciées, toujours intégrées dans un dispositif pédagogique plus large. Les usages relèvent de plusieurs fonctions complémentaires :
Infographie des différents usages d'un système d'IA au cours de la séquence
2. Des bénéfices pédagogiques identifiés
L’introduction de l’intelligence artificielle dans cette séquence n’avait pas pour vocation de se substituer au travail interprétatif des élèves, mais de l’accompagner, de le stimuler, et de le rendre plus conscient. Loin de déléguer la lecture au numérique, le dispositif a permis de faire de l’IA un point d’appui réflexif, dans une logique d’émancipation intellectuelle.
Plusieurs bénéfices pédagogiques ont ainsi été relevés au fil de la progression, aussi bien par les élèves que par l’enseignant :
- Clarification des idées : certains élèves ont su utiliser l’IA pour reformuler plus précisément une problématique, restructurer un raisonnement ou rendre plus cohérent un plan de commentaire. L’outil a facilité la verbalisation d’intuitions interprétatives parfois encore floues.
- Aide à la rédaction : à travers les suggestions de transitions, d’introductions ou de reformulations, l’IA a permis d’élargir le registre lexical et de travailler la fluidité de l’expression. Certains ont identifié dans cet usage une aide à la rédaction, notamment pour l’écriture d’un discours lyrique ou la structuration d’une synthèse finale.
- Effet miroir réflexif : la confrontation entre production personnelle et proposition générée a permis aux élèves de mieux percevoir ce qui constitue une écriture humaine — ses hésitations, ses partis pris, sa tonalité. Cette comparaison a contribué à réaffirmer la valeur de la subjectivité littéraire, et à faire émerger une prise de conscience des effets produits par les choix de style.
- Appui méthodologique souple : utilisée ponctuellement, et toujours dans un cadre balisé, l’IA a pu servir de soutien à des élèves en quête de repères. Certains y ont trouvé un outil pour consolider leur autonomie, d’autres un moyen de reformuler une idée, de valider une intuition ou d’enrichir une formulation.
3. Des limites pédagogiques à encadrer
Malgré ces apports, les usages de l’IA sont restés très inégalement maîtrisés, révélant des écarts de posture, de méthodologie et de compétence critique. Ces limites, loin de disqualifier l’outil, soulignent au contraire la nécessité d’un accompagnement pédagogique rigoureux pour éviter ses usages superficiels ou trompeurs.
- Réception passive des suggestions : dans plusieurs cas, les élèves ont recopié les formulations de l’IA sans recul, comme si la validation automatique suffisait à garantir la justesse de l’interprétation. Le geste critique — analyser, comparer, juger — reste fragile.
- Faible capacité à formuler des prompts efficaces : peu d’élèves ont su interroger l’IA de manière explicite et ciblée. Les demandes, souvent vagues ou peu problématisées, ont entraîné des réponses génériques, parfois hors sujet, révélant un manque de formation à la formulation des requêtes.
- Difficulté à évaluer la pertinence : nombre d’élèves ont eu du mal à apprécier la qualité d’une reformulation. Ils confondent aisément élégance stylistique et justesse interprétative, sans toujours distinguer un enrichissement pertinent d’un simple effet rhétorique.
- Risque de dévalorisation personnelle : plusieurs témoignages expriment une forme de découragement face à la “perfection” apparente du texte généré. L’élève peut alors perdre confiance en sa propre voix, jugée “trop simple” ou “pas assez littéraire”, sans reconnaître ce qui en fait la valeur : sincérité, émotion, regard.
- Un outil non disciplinaire par nature : l’IA ne possède pas de connaissance intime du théâtre racinien, ni de conscience des enjeux esthétiques et moraux de la tragédie. Elle peut produire des effets de style convaincants, mais ne comprend pas ce qui fait sens dans un vers ou ce qui fait tension dans une scène.
Ce bilan invite ainsi à poursuivre une pédagogie de l’encadrement critique, visant à faire de l’IA un partenaire occasionnel, mais non prescriptif, un levier de clarification, mais non une béquille interprétative. L’outil n’est ni l’ennemi de la lecture, ni son remplaçant, mais un contexte technique à investir, interroger et détourner — pour mieux former des lecteurs exigeants, sensibles et autonomes.
Conclusion
Cette séquence autour de Britannicus a permis de conjuguer l’étude d’une œuvre exigeante du patrimoine avec des pratiques pédagogiques innovantes et réflexives, articulées autour de l’intelligence artificielle, de la scénographie et de l’appropriation progressive du texte. Loin de substituer l’IA à la lecture, le dispositif en fait un outil parmi d’autres pour aiguiser le regard, tester ses hypothèses, prendre conscience des enjeux d’écriture et renforcer la singularité du geste interprétatif.
L’expérience menée montre que les élèves sont capables d’entrer dans des textes complexes, de se questionner sur leurs lectures, et de produire des analyses, des discours et des mises en scène révélant une compréhension en profondeur. Elle souligne aussi la fragilité de certaines compétences (structuration, problématisation, usage critique de l’IA) qui méritent un accompagnement spécifique et progressif.
Ce parcours, fondé sur un portfolio réflexif, des activités différenciées et une progression construite autour de gestes interprétatifs, constitue une réponse concrète aux défis posés par l’enseignement du français aujourd’hui : valoriser la lenteur, la créativité, la réflexivité, et la puissance humaine d’interprétation, dans un monde où les réponses sont instantanées, mais souvent désincarnées.