mardi 7 mai 2024

Transmettre des contes à des élèves de maternelle

 

Dans le cadre d’un projet interdegré, nous avons travaillé sur les contes traditionnels. Il a fallu inventer un mode de transmission de ces histoires pour les enfants de maternelle, car nous n’avons pas pu nous rencontrer dans le contexte de la covid : les outils numériques ont été la clef.

 

Objectifs pour les collégiens – classe de Sixième :

 

Compétences pédagogiques :

  • Lecture : fluidité de la lecture et expressivité
  • Langue : adapter son langage à son interlocuteur, ici des enfants de trois ou quatre ans
  • Travailler en groupe et gagner en autonomie

 

Compétences numériques :

  • Domaine 3 du CRCN : Création de contenus – compétence 3.2 : Développer des documents multimédia (enregistrement d’un fichier audio sur tablette, montage audio avec Audacity sur pc, prise de photographies avec tablette ou téléphone, travail de l’image avec Photofiltre sur pc, export des fichiers d’une tablette vers un pc, montage audio / vidéo avec l’éditeur de vidéos Windows sur pc)
  • Domaine 5 du CRCN : Environnement numérique – compétences 5 .1 : Résoudre des problèmes techniques et 5.2 : Evoluer dans un environnement numérique (compatibilité des outils et logiciels)

 

Obstacles :

  • préalable juridique : autorisation parentale de droit à l’image, pour diffusion des enregistrements audio et vidéo, et publication sur le site de la maternelle et/ou du collège
  • contexte sanitaire : année COVID, créer du lien humain sans se rencontrer, incarner les histoires
  • travailler avec un environnement numérique donné : tablettes Apple, soucis de compatibilité avec les pc du collège où sont les outils de montage audio et video

 

Déroulé :


1. Découverte des textes


Après lecture de l’album, Le loup qui découvrait le pays des contes d’Oriane Lallemand, les élèves repèrent les contes qu’ils connaissent, en s’appuyant sur le texte et les images.


Chaque groupe de quatre élèves reçoit l’album d’un conte. Je leur explique que l’objectif sera d’enregistrer leur lecture à haute voix. Je leur donne la consigne suivante : « partagez le texte de manière à peu près égale, sans pour autant simplement découper le texte en quatre parties. Votre lecture devra être vivante et dynamique ».


Après quelques lectures, les élèves donnent du sens à cette répartition du texte : ils se partagent assez naturellement les répliques des personnages et choisissent ensuite les narrateurs. Les lectures à voix haute menées en fin d’heure montrent qu’ils ont compris le sens des textes.


2. Enregistrement


Les élèves enregistrent leur version audio du conte en plaçant une tablette au centre de chaque groupe de quatre. Ils s’écoutent, s’enregistrent à nouveau, écoutent les autres groupes : ils entrent dans une démarche critique de leurs prestations, s’enrichissent de l’écoute des autres, et deviennent plus exigeants envers eux-mêmes. Ils modifient la vitesse de lecture, l’articulation, l’expressivité.


Une fois que l’enregistrement nous satisfait, eux comme moi, les élèves exportent ces fichiers en me les envoyant par Wetransfer – MBN ne permet pas d’envoyer des fichiers de cette taille, et nous n’avons pas les câbles nécessaires à l’export.


3. Travail des fichiers


En salle informatique, les élèves écoutent à nouveau leur travail deux semaines plus tard – c’est le rythme de notre cours par moitié de classe – et retravaillent le fichier avec le logiciel Audacity, pour réajuster le volume ou rajouter des silences lorsque les phrases s’enchaînent trop rapidement.


Une partie du groupe fait ce travail pendant que l’autre photographie les pages de l’album, avec tablette ou téléphone, et les exporte - par mail, sms, Wetransfer ou avec un câble : l’environnement numérique nécessite que les élèves, et leur professeur, s’adaptent et apprennent à trouver des solutions aux problèmes techniques rencontrés. Ces élèves retravaillent éventuellement certains cadrages, certaines bordures ou couleurs avec l’aide du logiciel Photofitre.


L’ensemble du groupe procède ensuite au début du montage entre ces images et les enregistrements audio, grâce à l’éditeur de vidéos Windows.


Je devrai malheureusement terminer ces albums moi-même par manque de temps en salle informatique.
Les albums sont prêts.


4. Transmettre les contes

 

Le projet initial était d’aller à la maternelle pour lire les histoires aux élèves au cours de l’année scolaire, mais le contexte sanitaire a rendu cela impossible. Pour créer des liens entre nos élèves, nous décidons de nous filmer pour que les élèves de maternelle puissent nous voir : nous cherchons ainsi à incarner ces contes numériques, à les humaniser, même à distance, même masqués.


Tout d’abord, un jour où les bus sont bloqués par la neige, nous faisons des photos de groupe de la quinzaine d’élèves présents, à l’aide d’une tablette. Nous utilisons aussi notre mascotte, un loup en peluche, identique à celui qu’ont les maternelles. Un élève propose un nom que nous adoptons, il est sur les photos avec les élèves. Nous choisissons en votant un des montages prêts à l’emploi d’Imovie, installé sur nos tablettes, et les élèves proposent les textes à insérer. Je leur montre comment utiliser cet outil, qu’ils réutiliseront plus tard dans l’année. Nous finissons le cours par un moment d’écriture individuelle d’une lettre où la mascotte se présente, ainsi que notre classe. J’en ferai une compilation pour envoyer une lettre aux maternelles.


5. Introduire les contes

 

La semaine qui suit, chaque groupe imagine une courte vidéo de présentation de son conte. Je leur demande d’écrire le texte et de réfléchir à une petite mise en scène. Ils apportent une perruque blonde, un chaperon rouge, une peluche, ... Je leur rappelle qu’ils s’adressent à des enfants de trois ou quatre ans, et que cela exige que le langage soit modélisant : pas de familiarités, négations à soigner, articulation, vitesse, volume et vocabulaire adaptés.


Je conseille les élèves dans le placement de la caméra pour que le cadrage soit bon, et ils tournent eux-mêmes ces vidéos. Il y a parfois de nombreuses prises, tant ils manquent d’habitude face à la caméra. Je leur fais regarder leurs ratés, pour comprendre l’importance de la posture. Seuls deux élèves seront filmés par groupe, les deux autres sont de l’autre côté de la caméra. Dans la suite de l’année et du partenariat avec les maternelles, les rôles seront échangés, ce qui permettra à chacun de faire l’exercice, mais sans redondance.


Nous avons également réalisé un arbre des contes, en bois et papier, où chaque branche correspond à un conte, où l’on voit le visage des élèves sans masque, grâce au trombinoscope du photographe. Un exemplaire a été fait pour les maternelles, et un autre pour les collégiens, que nous avons affiché en classe, où les élèves ont pu se découvrir sans masque.

 

Bilan :

 

     Passée la déception de ne pas pouvoir rencontrer les élèves de maternelle, de ne pas leur lire ces contes « en vrai », le contexte nous a permis de travailler ensemble, d’inventer d’autres modes de fonctionnement. Il aurait pu être intéressant d’ajouter des écrits des collégiens vers la maîtresse des maternelles, pour introduire l’écriture formelle de mails en langage plus soutenu.


    J’aurais également souhaité que les élèves puissent faire eux-mêmes les montages dans leur intégralité. Une solution aurait été de poursuivre le travail à la maison, mais la compatibilité entre les outils reste problématique. Il me semble nécessaire d’avancer dans l’utilisation de logiciels libres, au collège, de sorte que les enfants puissent les installer et les utiliser chez eux. Il est important d’apprendre tôt à utiliser des logiciels libres pour éviter de nous enfermer dans des solutions propriétaires payantes, pour garantir une vraie indépendance technologique. Il me reste à travailler en ce sens.


Les collégiens ont apprécié ce projet. Ils ont aimé découvrir les autres élèves de leur classe, transmettre aux petits, et ont fait preuve d’une grande exigence pour faire plaisir aux élèves de maternelle. Au-delà des compétences de lecture qui ont fait un bond en avant, des timides qui ont gagné en assurance, l’atmosphère de la classe s’est apaisée. Ils étaient fiers d’eux-mêmes, et heureux de pouvoir garder ces objets numériques, mis en ligne sur Moodle.


Le partenariat s’est poursuivi tout au long de l’année avec d’autres travaux pour les collégiens, d’écriture notamment, et les maternelles ont peu à peu découvert ces contes et nos vidéos. Ils ont réalisé une exposition de leurs travaux à l’école, où certains collégiens ont pu venir pour réaliser un petit reportage photographique. Ils découvriront l’album Le loup qui découvrait le pays des contes en fin d’année, à eux cette fois de retrouver tous les contes étudiés. Enfin, nous nous sommes rencontrés  le dernier vendredi de juin, masqués, en extérieur, mais surtout… en chair et en os : ce fut un beau moment de partage pour tous.