2.3. Un exemple d’activité pour initier le journal de lecture : travailler sur l’horizon d’attente
Sans que nous nous soyons concertés, nous avons souvent introduit le journal de lecture au cours de l’entrée dans l’œuvre.
Avant que les élèves ne se lancent dans une lecture longue et autonome, travailler sur les premières pages d’une œuvre permet :
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de proposer un texte court aux enjeux facilement identifiables
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de lancer la lecture de l’œuvre intégrale
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de mettre en œuvre de façon assez évidente des stratégies de lecture comme “prédire” ou “se questionner”
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d’utiliser en classe les entrées du journal pour confronter les hypothèses de lecture
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de permettre aux élèves de relire, quand ils auront avancé dans la lecture de l’œuvre, ce qu’ils avaient pensé et écrit au début.
Comme le note Julie Castel qui a procédé ainsi avec sa classe de 6ème :
Le jeu des prédictions et des questions a motivé les élèves à lire la suite de la nouvelle : le héros sera-t-il adopté ? Apprendra-t-il à lire? Pourquoi vit-il seul ? Julie Castel
De même qu’Isabelle Albini dans sa classe de 2nde :
J’ai souhaité travailler sur l’horizon d’attente. L’intérêt a été de profiter du fait que ce roman était totalement inconnu des élèves pour créer une surprise en formalisant un horizon d’attente. J’ai demandé aux élèves de compléter la case « prédire » , en ayant uniquement connaissance du livre et de sa date de publication. Ils devaient donner une idée du contenu du livre , en se fondant uniquement sur son titre. Un temps d’échange oral des hypothèses a été suivi de la lecture effective de l’incipit. Les élèves ont émis des hypothèses , imaginant qu’il s’agissait d’un roman sur une campagne agricole, une île isolée…des horizons d’attente bien éloignés du contenu du roman le plaisir de la découverte lors de la lecture en a été augmenté. Isabelle Albini
D’une façon assez similaire, Wendolin Bach a proposé à ses élèves de 3ème de rédiger une 1ère entrée après la découverte de la couverture et de la 4ème de couverture.
Un exemple détaillé : entrer dans Une passion dans le désert de Balzac
Nicolas Bannier a proposé à ses élèves de 2nde à l’occasion d’une séance d’introduction à la lecture de la nouvelle de Balzac, Une Passion dans le désert de faire une première hypothèse à partir de la lecture du titre. Si la plupart des élèves imaginent une histoire d’amour dans le désert :
C'est une histoire qui se déroule dans le désert et le personnage a une passion avec le désert. Élève 1
d'autres imaginent des pistes différentes :
Je pense que se sera l'histoire d'un personnage qui voudra réaliser ses rêves mais pour cela il va falloir qu'il aille dans un milieu ou habitat dans lequel il n'a pas l'habitude de vivre, ou difficilement. Élève 2
Je pense que cette histoire va parler d'une histoire d'amour qui se passe dans le désert. Élève 3
Ce sera l’occasion de revenir sur le mot “Passion”, son étymologie et sa polysémie.
Par la suite, après la lecture des premières pages de la nouvelle, les élèves ont reformulé de nouvelles hypothèses en modifiant l’entrée de leur journal :
Je m'attends à une histoire d'amour dans le désert peut être une sorte d'amour impossible entre deux personnes.
[Après la lecture de l’incipit] J'imagine une histoire de guerre plutôt compliquée avec beaucoup de détails, peut être qu'il y aura aussi une petite histoire de romance.
Il est intéressant de noter les pistes que formulent les élèves , investissant l’histoire de leur imaginaire, déterminant ainsi en partie leur lecture de l’œuvre. Ainsi, tel élève imagine que la nouvelle s’attachera au récit des relations entre les personnages présents dans l’incipit :
Je pense que la suite de l'histoire va être peut-être sur le fameux soldat amputé, et que le narrateur "je" et le soldat seront ami. Je pense aussi que par la suite M. Martin va être plus connu, il se passera une action autour de lui qu'on s'y attend pas.
lecture que programme mais que déjouera finalement le récit de Balzac.
Il en est de même pour un détail qui a frappé les élèves : le soldat est unijambiste :
Le personnage principal est un soldat qui nous raconte son passé (Comment il a perdu sa jambe ...)
Le texte raconte la souffrance du soldat ( une passion ) dans le désert égyptien. On va connaitre la raison pour laquelle le soldat est unijambiste et pourquoi il a rencontré le personnage "JE" et pourquoi “Je” a rédigé l'histoire.
Or là encore, le récit déjoue cette piste, car Balzac n’évoquera que très brièvement la perte de la jambe du soldat. On voit que s’ouvrent alors des espaces pour des écrits d’appropriation, dans les silences du récit. [voir article]
De l’incipit à la clôture du récit :
Demander une entrée à la fin de la lecture, permet aux élèves
- de revenir sur leurs hypothèses,
- d’évoquer ce que cette lecture leur a appris
J'ai découvert une autre manière de réagir que la mienne. Car le soldat a eu une réaction assez violente avec la panthère.
- ou leurs sentiments
"Lorsque le soldat pleure parce qu'il sait qu'il ne pourra pas rentrer en France du moins pas dans les prochains jours car autour de lui il n'y a rien : c'est le désert ou l'océan, on a de la peine pour lui.
A la fin du texte, je ressens de la tristesse car je pensais que le soldat et la panthère était amis et qu'il ne pourrait pas faire ce qu'il a fait. Je suis déçue du comportement du soldat et je suis en quelque sorte énervée contre lui d'avoir pu tuer cette panthère."
- mais également de se poser de nouvelles questions.
Je me demande si la panthère ressentait vraiment de l'amitié pour le soldat ou si elle voulait juste attendre pour le tuer. La dernière partie du texte nous donne l'impression qu'elle voulait le tuer.
- et d’émettre un jugement
J'ai trouvé que le texte est écrit de façon à nous questionner, à ressentir les même choses que le personnage, à faire ressentir plusieurs émotions comme de la joie, de la compassion, de la colère ou encore de la tristesse. Je trouve que c'est intéressant de pouvoir ressentir tout ça en une seule nouvelle. Parfois même, nos émotions changent rapidement ou sont assez confuses : on ne sait pas trop si on est content ou triste.