Etudier le Pro Archias de Cicéron pour mieux comprendre les enjeux du monde contemporain ?
Une réalisation vidéo de collégiens latinistes.
Nous présentons ici un travail mené entre janvier et juin de l’année scolaire 2024-2025 avec un groupe de 7 latinistes de S4, équivalent 3e, de la section francophone de l’Ecole Européenne de Francfort. Celui-ci s’inscrivait dans le cadre plus large du projet international Erasmus+ Europa Ciceronia Pro Archia (janvier 2024-décembre 2026), financé par l'UE (KA220-HED - Cooperation partnerships in higher education) et coordonné par l'université d'Amsterdam, en étroite collaboration avec les universités de Leiden, Ljubljana, Sorbonne Université, Trèves et Turin. Visant à promouvoir la collaboration européenne dans le domaine de la didactique du latin, son objectif est d’aborder la question complexe de la citoyenneté à travers la défense par Cicéron du poète étranger Archias, dans une affaire concernant à la fois le droit de citoyenneté et la valeur de l'art et de la littérature. Les travaux de tous les partenaires européens doivent aboutir à un commentaire multimédia du Pro Archia en ligne, en libre accès et en cinq langues, destiné aux enseignants et aux étudiants en latin.
Dans le système scolaire européen, les élèves peuvent suivre un cours de latin en S2 (5e) et S3 (4e) à raison de 90 minutes par semaine ; ils peuvent ensuite soit arrêter, soit continuer avec un cours facultatif de 180 minutes par semaine pendant deux ans. Les compétences linguistiques construites en 2 ans et quelques mois d’une exposition si réduite au latin ne permettaient pas à mon groupe d’élèves d’envisager un travail de traduction et commentaire « classique » du discours de Cicéron. Cependant, grâce à une entrée en matière très stimulante guidée par des documents élaborés par Mme A. Hopfner-Sauvanaud, collègue de l’académie de Strasbourg, leur curiosité a été piquée : pourquoi un poète grec pouvait-il être accusé d’avoir usurpé la citoyenneté romaine ? que risquait-il de perdre si la défense de Cicéron n’était pas efficace ?
Les élèves connaissaient déjà Cicéron, puisque nous avions mené une séquence sur la rhétorique antique et sur les combats politiques de l’orateur ; ils connaissaient aussi, dans les grandes lignes, les trois types de discours ainsi que la distinction entre ethos, pathos et logos. Du moment où ils étaient par ailleurs curieux de mieux connaître le parcours d’Archias et de comprendre comment Cicéron l’avait défendu, il devenait possible de mener un travail sur le discours dans son intégralité. Celui-ci s’est déroulé sur six semaines environ, de la manière suivante (les séances de langue ne sont pas intégrées au tableau ci-dessous) :
| Présentation du contexte historique du Pro Archias, à travers les portraits des différents personnages et en particulier : • L'ethos de Cicéron en -62 • Le parcours d'Archias • Qui était Gratius ? | Approfondissement :
| Culture classique : le concept de citoyenneté dans la Grèce classique et en particulier à Athènes | D'hier à aujourd'hui :
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| Lecture complète (en traduction) du Pro Archias et analyse rhétorique générale (structure, identification des différentes parties du discours et division des arguments dans chaque partie) | Approfondissement : la particularité d'un discours qui combine les genres judiciaire et épidictique. | Culture classique : le rôle de l'artiste dans les sociétés anciennes, en particulier par rapport aux détenteurs du pouvoir ; lecture en traduction des passages les plus célèbres de Platon sur le sujet. | D'hier à aujourd'hui : le rôle de l'artiste dans les sociétés contemporaines ; en particulier, le rôle de l'artiste réfugié politique, à travers divers exemples contemporains. |
| Lecture et traduction (guidée) des différents arguments développés par Cicéron, dans la défense d'Archias, puis dans la défense de la littérature : pathos et/ou logos ? Avec quelle alternance ? Avec quelle efficacité ? | Approfondissement : la signification rhétorique de la structure concessive => identifier les arguments de l'adversaire (spécifiques et généraux)
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| D'hier à aujourd'hui : réflexions puis recherches en ligne pour trouver les arguments avec lesquels aujourd'hui
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A ce stade du travail, les élèves s’étaient véritablement passionnés pour le discours et, plus encore, pour ses résonances contemporaines : plusieurs discussions animées avaient eu lieu en classe, tant sur la questions du droit à la citoyenneté que sur celle de l’utilité des artistes ; les élèves arrivaient spontanément en cours en apportant des témoignages d’artistes réfugiés trouvés sur internet ou des textes qu’ils rencontraient en cours de français (le Discours de Suède de Camus, par exemple !). Je leur ai alors demandé comment ils envisageaient de rendre compte de ce qu’ils avaient appris et de ce qui les avait le plus intéressé dans l'étude de ce discours : l’idée d’un court-métrage confrontant « hier et aujourd’hui » a presque immédiatement été proposée par trois d’entre eux et véritablement plébiscité par l’ensemble du groupe !
Ce qui s’est passé à partir ce moment-là a été pour moi une belle surprise pédagogique : les élèves se sont en effet complètement emparés du projet, sans que j’aie à faire autre chose que de réviser leurs textes (le plus souvent, pour les raccourcir !). Ils ont conçu le scénario, écrit tous les scripts, les ont appris par cœur et mis en scène (memoria et actio) en étant très attentifs à la question du pathos (comment susciter la pitié ? l’indignation ?) : un de leurs objectifs majeurs était en effet, d’après leurs discussions, de montrer aux camarades non latinistes, souvent un peu moqueurs à l’égard de l’étude de cette « langue morte », que les textes antiques pouvaient apporter un éclairage essentiel sur des problématiques et des débats houleux du temps présent.
Le tournage a été réalisé sur le site de l’Ecole, au moins de juin, en 4 demi-journées, par un des élèves, qui a aussi pris en charge le montage, l’insertion des indications temporelles et tous les aspects techniques.
En guise de conclusion, le mieux est sans doute de laisser la parole aux élèves eux-mêmes, qui de toute évidence n’oublieront pas de sitôt le Pro Archias ! « Le projet Pro Archia a été une expérience aussi unique qu'intéressante. Nous avons appris des rudiments de la rhétorique cicéronienne, mais en ne commençant pas ou presque pas par de la théorie. On a été très vite plongé dans le grand bain, et avons dû écrire un discours, s'inspirant de celui de Cicéron et des faits historiques : avec ce projet, nous avons mêlé passé et présent pour former une (petite) pièce de théâtre. Cependant, nous n'avons pas fait qu'écrire: nous avons joué et déclamé nos œuvres, mettant en pratique l'actio, tels des orateurs antiques ! » (Matthias). « Ce projet a été très enrichissant pour nous tous. Tout d'abord, nous avons approfondi nos connaissances sur la condition des artistes réfugiés politiques d'antan et d'aujourd'hui. Ensuite, nous avons rédigé le scénario. Ainsi, nous avons appris à écrire des dialogues puis nous les avons arrangés. Ceux-ci ont été la fondation de notre projet. Enfin, nous avons pu travailler en équipe, coordonner nos efforts pour la réalisation de ce court-métrage. L'engagement de chacun de nous a contribué à la finalisation de notre film. » (Claire)


